« Je crois, dit Hadil, que l’on fait toute chose par amour, et seule diffère la hauteur de notre amour dans l’éther. Toute action loue une chose créée sur laquelle s’est posée une conscience empreinte d’amour. Même nos erreurs, même nos haines et nos cris, ne sont que le reflet d’un amour : amour d’un bien terrestre auquel on s’est attaché et qui crie son arrachement, amour d’une demeure que l’on a chérie et qui nous fait résister à l’ordre nouveau, amour d’une liberté qui nous fait honnir les barreaux qui l’entravent. Amour d’une illusion toujours.
Il faut alors pour remède à la folie de l’amour, un amour plus grand :
Tu n’es, mon amour, me dis-je, qu’un chemin vers mon amour Plus Grand. J’aime pour apprendre à aimer ce qui est au-delà de toi. Alors j’aime aimer, parce que j’aime davantage l’Amour, que l’objet de mon amour, qui lui est éphémère, qui lui ne fait que passer, tandis que l’Amour subsiste dans l’éternel : toujours il renaîtra ; innombrables sont ses formes, unique est son essence, qui est au-delà de toute forme.
Que cherchez-vous dans le miroir de vos amours ? N’y percevez-vous que le seul palpitement d’un morceau de chair charriant le fleuve de vos émotions ? Car si l’amour est dans votre sang, et dans votre sang seulement, c’est un amour dont vous serez bientôt l’esclave ; il vous tient déjà à sa merci, et bientôt pour votre salut, vous devrez vous rebeller, le sacrifier, et comme le sang, il retournera à la terre.
Amour, terre et sang sont inexorablement liés. Et pour élever l’amour, il faut purifier le sang. Et pour purifier le sang, il faut aimer au-delà des frontières de ce que l’on appelle amour…
« Nous avons refusé bien d’ordinaires barbaries, songea Halima, et de ce fait, élevé nos âmes. »
Halima connaissait le prix de son lait, sève de son sein, don d’elle-même au bénéfice de demain. Elle ne pouvait se résoudre à le voler à un autre être de chair, tant que la terre lui offrirait de quoi subsister.
« Qui voudrait être l’enfant de celui qui dit aimer ses bêtes, et leur vole leur lait ? Se dit-elle encore : des limbes de son esprit surgit une violente émotion dont elle se fit compatissante témoin. Qui voudrait être l’enfant de celui qui dit aimer ses bêtes, et les tue pour son profit, et les mange pour son plaisir, et se pare de leurs peaux ? Il dira à son enfant : je t’aime, et l’enfant verra ce qu’il fait des créatures qu’il prétend aimer. Est-ce là l’amour des bêtes ou bien l’amour du profit ? »
« Toujours prenez garde à l’objet de votre amour, continua Hadil. Car l’amour qui ne vise l’Absolu dessert l’Homme, il est idolâtrie. »